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Transhumance
TRANSHUMANCE
Qui aurait pensé que la cigogne et le caribou se retrouveraient à guider un troupeau de vaches maraîchines vers son lieu d’hivernage ? Nous aimons les vaches, et leur présence dans les marais nous est familière et rassurante. Ces paisibles bonnes grosses bêtes font partie de notre paysage quotidien, et cohabitent souvent avec leur partenaire le héron garde-bœufs. Nous aimons aussi les oiseaux et suivons les activités de la Ligue de Protection des Oiseaux (LPO). Le partenariat entre la LPO, le domaine de La Massonne, Nature Environnement Charente Maritime et des éleveurs locaux traditionnalistes a fait le reste. Les propriétaires des vaches maraîchines souhaitaient faire transhumer le troupeau du domaine de La Massonne, dans les marais, jusqu’au village où il passerait l’hiver. Et pour pouvoir faire ce transfert à l’ancienne, à pied donc, il fallait un grand nombre d’humains. De là a germé l’idée d’organiser une randonnée pédestre – transhumance.
27 vaches (1 taureau, 2 bœufs, 10 vaches, 5 génisses et 9 veaux), les propriétaires des vaches et leurs voisins et amis, des bénévoles de la LPO et de Nature Environnement, des militants de la Confédération Paysanne, 47 marcheurs (soit 70 humains + quelques petits d’hommes) – 5 vélos – quelques voitures – 2 adorables chiens parfaitement ignares en vaches… Et voilà le troupeau de randonneurs constitué.
Mais faisons d’abord connaissance avec cette jolie vache. La Maraîchine descend, comme ses cousines Parthenaises et Nantaises, du bovin gaulois traditionnel, l’aurochs. Elle est issue du bassin de la Loire. Elle appartient à la branche du rameau brun, qui trouve ses origines dans les Balkans puis dans les Alpes. Elle a sans doute également connu un métissage avec des vaches rapportées du Danemark, et peut-être également d’Inde, par les Hollandais. Elle a su s’adapter au milieu humide du marais breton-vendéen.
On lui trouve de nombreuses qualités :
. Excellente adaptation au marais (sabots adaptés aux sols humides, résistance aux variations climatiques (sécheresse et humidité), résistance aux parasites et aux épidémies (elle peut brouter toutes sortes de prairies), solide charpente, peu de soins, vêlage facile)
. Qualités laitières intéressantes (elle a même obtenu le premier prix du concours beurrier organisé en 1909)
. Qualité de sa viande
. Puissance de traction sur les sols lourds des marais
. Longévité
C’était donc la vache de prédilection des marais charentais jusqu’à la guerre (A la fin du XIXème siècle, la transformation des marais en polders entre l’embouchure de la Loire et la Gironde nécessite des bovins aux aptitudes spécifiques). Elle apprécie l’élevage dit extensif (dans de vastes prairies, et non en stabulation). Elle a pourtant failli disparaître dans les années 1950 et 1960, au profit de le Normande et de la Holstein pour le lait, de la Charolaise pour la viande. Il ne reste en 1986 que 30 individus. Ce n’est qu’à partir de 1987 que la race Maraîchine a été reconstituée, à partir de quatre animaux sélectionnés.
Elle est de plus d’un physique fort agréable : robe fauve, muqueuses noires, maquillage autour des yeux. Ses cornes effilées sont en forme de lyre, dit-on, et noires à leurs extrémités. C’est une vache de grande taille (140 cm au garrot et 700 kg pour la femelle, 145 cm au garrot et 1200 kg pour le mâle, plus sombre, plus frisé).
Revenons à notre transhumance. (« Du latin trans (de l'autre côté) et humus (la terre, le pays), est la migration périodique d'une part du bétail (bovidés, équidés et ovins) de la plaine vers la montagne ou de la montagne vers la plaine, en fonction des conditions climatiques et donc de la saison » – source Wikipédia). Nos bestiaux appartiennent à Benoît Biteau, agriculteur à Berthegille (sur la commune de Sablonceaux), et lauréat des Trophées 2009 de l'agriculture durable. Ils ont passé l’été dans les prairies du domaine de La Massonne. L’éleveur, très soucieux de revenir aux traditions, a souhaité que ses bêtes regagnent leur lieu d’hivernage à l’ancienne, et non en bétaillère. Il souhaite vivre près et avec ses animaux. Il a eu donc l’idée d’organiser cette randonnée originale afin que le troupeau d’humain puisse accompagner le troupeau des bêtes.
Nous irons donc à la rencontre de nos vaches dans le bas du domaine, et ferons connaissance avec Sonia et Tulipe, les deux femelles dominantes, suivies de près par Songeuse, dite Iznogoud parce qu’elle veut être califa à la place des califas.
C’est une première pour les bêtes, et le départ n’est évident pour personne. Les humains ne sont pas rodés à ce genre d’exercice et, malgré les conseils des agriculteurs et la ceinture qui devait être formée autour du troupeau, trois veaux auront envie de faire chemin buissonnier. Il faudra un certain temps pour les convaincre de rejoindre la troupe.
Ce sera ensuite au taureau, un bien brave garçon injustement baptisé « Abruti » sous prétexte qu’il était né l’année des « A » (il aurait pu s’appeler Agamemnon, Anselme, Arthur, Achille, Aaron, Alexandre, Abraham…) de vouloir faire un tour dans le bois. Il nous fait une démonstration de sa « force tranquille » en labourant un peu plus loin un champ de céréales encore en herbe. Un bon garçon, bien intégré à la troupe de femelles (il appartient à l’association de sauvegarde de la race maraîchine) et de gamins. Son prédécesseur répondait au joli nom d’Ursule, mais il paraît qu’il a fini en steaks… (Dure réalité de la relation à la vie et à la mort dans le métier d’éleveur).
Les petits, nés en juillet, cherchent bien un peu leurs mères, mais marchent vaillamment. Ils seront fatigués au bout de la route. Il y aura quelques bousculades (peut-être les faisons-nous marcher trop vite…), quelques bobos, mais personne ne se plaindra. Pauvre petit veau qui saigne et bave, mais il faut continuer, c’est ainsi. « Allez, les petits boudins, allez, les petious », dira Audrey, qui ferme la marche et guide la queue du troupeau…
Les bovins sont guidés avec des bâtons. Ils ont le cuir épais, semble-t-il, et ne semblent pas souffrir des coups qu’ils reçoivent (du moins essayons de le croire). Les traversées de route se feront sans encombre.
Au bout de trois heures de marche et une douzaine de kilomètres, les pattes endolories, tout le monde arrivera sans encombre au pré qui les nourrira cet hiver. Nos bestioles sont accueillies par des résidants à l’année, vaches et chevaux, à qui ils se mêleront.
Les bébés retrouvent vite les mamelles maternelles pour une tétée bien méritée. Les grands auront droit à l’eau de l’abreuvoir.
Les petits d’hommes aussi ont bien marché. Certains ont fait quelques kilomètres sur les épaules parentes, mais quand même, chapeau, les enfants !
Les voitures sont restées à La Massonne, et il faut bien aller les récupérer… ou refaire le chemin inverse à pieds. Les chauffeurs sont donc, eux, transportés en bétaillère. Heureusement, ils n’ont pas rencontré les gendarmes…
Nos agriculteurs nous ont fait marcher comme des boeufs… mais nous ont récompensés largement. Au-delà du plaisir d’une randonnée exceptionnelle, ils nous proposent les produits du terroir (un pineau savoureux, du fromage, des mogettes, du jambon, de la salade) et des desserts confectionnés par les participants). Un sympathique et reconstituant repas préparé par Audrey, la meneuse. Un sacré bout de bonne femme. Bravo Audrey !
L’expérience transhumante est donc un succès et sera reconduite au printemps… dans l’autre sens… pour retourner dans les marais de La Massonne. Peut-être en serons-nous…
Flonigogne
Tags : la massonne, nature, environnement, vaches, lpo