• Les Inuit et le réchauffement climatique

    LES INUIT ET LE RÉCHAUFFEMENT CLIMATIQUE

    (Une conférence de Sylvie Teveny)

     

    Cette conférence est la dernière d’une série de trois interventions de Sylvie Teveny à la Maison de Champlain à Brouage, sous le patronage du Conseil Général de la Charente-Maritime. Elle fait suite à la présentation du monde Inuit, peuple de chasseurs de la région circumpolaire.

    Les frontières sont artificielles sur le plan ethnique, et les Inuit ont la nationalité du pays auquel ils sont rattachés (voir l’article sur « les Inuit et le monde animal). Ils vivent dans des situations politiques et culturelles très différentes, ceux du Groenland et du Canada étant mieux lotis que ceux de Russie ; ils ont pu obtenir une certaine autogestion.

    La planète terre par rapport au soleil

    La terre tourne autour d’un axe incliné. Le cercle polaire détermine la zone de nuit hivernale. La ligne dite « isotherme » délimite une région où la température ne monte jamais au dessus de 10°C ; c’est aussi la limite des arbres, qui ne peuvent pousser, le sol étant gelé toute l’année. Les Inuit vivent donc dans une région de toundra, sans aucune arborescence. Le raisin d’ours, sorte de myrtille, est apprécié pour son apport en vitamine C et ses vertus thérapeutiques contre les problèmes gastriques. Les baies sont congelées à la fin de l’été pour être consommées toute l’année.

    La région circumpolaire

    Le lichen est l’aliment principal des caribous. Cet animal est indispensable à la survie des hommes dans ce désert blanc. Les seuls matériaux disponibles sont les os de baleine, les bois de caribou et l’ivoire de narval.

    Rappelons la densité de population dans ces régions : 1 habitant aux 100km2 contre 100 habitants au km2 en France. Les Inuit vivent tous le long du littoral. Ils sont arrivés de Sibérie il y a environ 6000 ans, en plusieurs vagues migratoires, suivant les gibiers. Si la température ne monte guère en été, en hiver elle ne descend pas plus bas que dans le sud canadien (autour de – 50 ° C).

    Les faibles températures des régions circumpolaires s’expliquent par la façon dont les rayons solaires arrivent :

    • Les rayons du soleil perdent de leur intensité parce qu’ils ont une plus grande distance à parcourir qu’au niveau de l’équateur

    • Comme ils arrivent obliques, ils ne pénètrent pas dans le sol comme lorsqu’ils  arrivent à la perpendiculaire

    • Comme le sol gelé est clair, le rayonnement solaire est renvoyé et le sol ne peut pas se réchauffer (c’est l’effet d’Albédo).

    Les Inuit vivent dans des villages, dans des maisons de bois qui arrivent en kit par bateau. Elles sont construites sur pilotis, le gel permanent du sol empêchant le creusement de fondations. Dans le village, ont trouve de tout ou presque : école, magasin général, musée, église, dispensaire. 7000 habitants vivent dans la capitale, Iqalui. Durant les vacances scolaires, les villages sont désertés, et la famille part sur le territoire. C’est dans cette période que se fait la transmission du savoir.

    Les Inuit pêchent l’omble chevalier, qui vit sous la banquise, en l’attirant vers la lumière par le trou creusé dans la glace. Les filets de poissons sont consommés à l’automne, puis séché à l’air libre (il n’est pas possible de le fumer, du fait du manque de bois). Ils chassent en famille, à la carabine, ou au harpon.

    Selon les croyances chamaniques, l’animal est considéré comme une personne à part entière, un être pensant et libre de s’offrir ou non. Un bon chasseur doit savoir séduire l’animal. Il ne doit pas poursuivre un animal qui ne s’offre pas. Il respecte un code de bonne conduite :

    • Faire certains gestes pour séduire et remercier l’animal chassé

    • La femme confectionne de beaux vêtements avec la peau de l’animal, afin de montrer à ses congénères ce qu’on fait de la peau de ses semblable

    • On ne fait pas souffrir inutilement un animal

    • Tout dans l’animal est utilisé (la peau, la chair, les tendons, les os, les intestins)

    • On ne poursuit pas un animal qui a décidé de ne pas s’offrir

    Le travail de la peau

    Les femmes, dès leur plus jeune âge, apprennent à gratter la graisse avec l’ulu. La peau est ensuite lavée et assouplie.

    Selon le rituel, la chair de l’animal est mangée crue, à même le sol. Les enfants observent le découpage de l’animal, dont ils ne mangeront que certaines parties, après les adultes. La transmission culturelle perdure durant les week-ends et les vacances scolaires.

    Les installations modernes ne sont utilisées que pour la préparation et la consommation des aliments importés.

    Le réchauffement climatique et l’attirance vers les métiers du tertiaire sont les principales causes de la perte culturelle des Inuit.

    Le réchauffement climatique

    Les gaz à effet de serre sont plus importants qu’il y a 50 ans.

    Aux pôles, avec l’effet Albédo, 80 % de l’énergie solaire repart vers l’espace contre 20 % ailleurs sur la planète. Les gaz à effet de serre maintiennent une température viable permettant la vie sur terre. L’atmosphère retenant 50 % du rayonnement.

    La problématique actuelle est en boucle : la banquise fondant, l’effet d’Albédo diminue, et le réchauffement s’accélère au pôle nord comme nulle par ailleurs sur la planète. La température est déjà montée de 2.5 °C. La superficie de la banquise est passée de 7 millions de km2 à 4 millions de km2. En 2030, la banquise permanente de la calotte glaciaire arctique du Groenland aura disparu. La durée de la banquise saisonnière a beaucoup diminué, et les Inuit ne peuvent plus se déplacer sur la glace pour aller chasser. De 16 millions de km2 en 1979, elle est passée à 14 millions de km2 en 2006. Le retrait de la banquise entraîne des difficultés au niveau de toute la chaine alimentaire. L’ours polaire se nourrit en chassant exclusivement sur la banquise. Son territoire de chasse diminue ; il a moins accès aux phoques annelés qui constituent sa principale nourriture. Il a perdu environ 50 kg de poids par individu. De plus, ses tanières s’effondrent sous les pluies. Les ours affamés s’approchent des villes.

    Le phoque annelé installe sa tanière dans l’épaisseur de la banquise, le phoque moucheté s’installe directement sur des plaques de banquise. Les deux espèces voient donc leur territoire disparaître.

    La hausse de la température a également des répercussions sur la végétation : la forêt monte progressivement et la toundra diminue. Les oiseaux s’installent. Le caribou se heurte à des plaques de glace qui l’empêchent d’accéder au lichen indispensable à son alimentation. Les insectes aussi arrivent et piquent les caribous, qui s’affaiblissent par manque de sang. La peau est donc de moindre qualité, moins épaisse, et les vêtements que les Inuit fabriquent avec sont moins chauds.

    La banquise saisonnière était la seule voie de communication pour aller d’un village à l’autre en hiver. Les noyades sont de plus en plus fréquentes parce que la glace n’est plus assez solide. La banquise est de plus en plus imprévisible et dangereuse. Même les personnes âgées expérimentées ne s’y risquent plus.

    Le dégel du sol entraîne une érosion nouvelle et l’effondrement des maisons construites sur pilotis. Un village entier (Shichmareff) s’est déjà désagrégé, et ses habitants sont devenus les premiers réfugiés climatiques.

    L’enneigement diminue et les Inuit ne peuvent plus fabriquer d’igloo.

    Le risque culturel lié au réchauffement climatique

    Les conditions atmosphériques ne permettant plus de fabriquer des igloos, le savoir de fabrication se perd. Les igloos ont été abandonnés comme habitation dans les années 1950 avec la sédentarisation. L’igloo était propre à l’arctique canadien. Les Inuit des autres régions utilisaient plutôt des habitations semi-souterraines ou des tentes, en Sibérie. Les Inuit n’avaient pas, comme du côté européen, l’apport des bois de flottage pour construire leurs habitations.

    Dans les habitations modernes de bois, le chauffage a fait son apparition (il fait environ 22°C à l’intérieur des maisons)… et avec lui le coryza, que les Inuit ne connaissaient pas.

    La banquise est le lieu de chasse de prédilection. Les périodes de chasse étant plus courtes, la technique de direction des chiens de traineau se perd. De plus, les chiens reviennent trop cher (il faut 6 phoques pour nourrir une meute pendant une semaine).

    Les aînés ont de plus en plus de mal à transmettre leur savoir traditionnel liés à la chasse.

    Les Inuit disent toutefois qu’ils vont s’adapter…

    Mais… l’ouverture d’une nouvelle voie maritime au nord de la planète  (économie de 8000 km par rapport au passage par le canal de Panama) risque d’entraîner de nouveaux conflits.

     

    La fonte de la calotte glaciaire

    En 10 ans, la calotte glaciaire a perdu 100 milliards de m3. Elle est une source d’eau douce pour le Groenland. Sa fonte entraîne une hausse du niveau des océans de 0,2 mm/an. Si rien ne change, la température augmentera de 7°C.

    Les Inuit se mobilisent

    Le protocole de Kyoto n’a pas été signé par les USA. Ce qui se passe actuellement dans le Grand Nord est un signe avant coureur de l’impact du changement climatique sur l’ensemble de la planète.

    Sheila Watt-Cloutier, ex-présidente de la conférence circumpolaire inuit, s’est engagée dans lutte écologique. En 2005, elle dépose avec 62 autres Inuit une plainte sous la forme d'un rapport de 167 pages à la commission interaméricaine des droits de l'homme qui démontre que les changements climatiques causés par la pollution des gaz à effet de serre causent des préjudices à son peuple, cause qu'elle réaffirmera dans son livre The right to be cold (Le droit au froid).

    L’accord sur les revendications territoriales du Nunavut se divise en trois catégories :

    • Les terres de la Couronne où les Inuits ont le droit de chasser, de pêcher et de piéger et dont ils sont co-gestionnaires;

    • 318 084 km2 de terres franches des Inuit en ce qui concerne les droits de superficie

    • 37 883 km2 de terres sur lesquelles les Inuit possèdent, en plus des droits de superficie, les droits d'exploitation du sous-sol. Les Inuit ont été invités à sélectionner les parcelles de terres sous chaque catégorie, en compensation pour les terres de la Couronne qui n'appartiendront pas aux Inuit.

    Le sous-sol regorge de ressource minières et fossiles (cuivre, or, argent, zinc, gaz, pétrole…). Le gouvernement compte sur l'exploitation minière et pétrolière pour assurer la viabilité économique du territoire.

    Le chamanisme

    Le terme « chamanisme » est issu de « chaman », qui désigne un intermédiaire. Il s’agit de l’une des plus anciennes formes de spiritualité de l’humanité. On le trouve au sein de nombreuses sociétés à travers le monde. Il se caractérise par une perception holistique (du grec holos, entier) de la vie, c’est-à-dire que tout est un : la terre, les animaux et les hommes, et chaque partie influence le tout. Dans le chamanisme, magie et religion, culte de la nature et croyance aux esprits se mêlent à des pratiques divines et thérapeutiques.

    Il fut interdit au moment de la christianisation du peuple inuit et jusque dans les années 1980. Dans les faits, il coexistait avec le christianisme. Actuellement, il est même revendiqué.

    Texte écrit par Flonigogne

    D’après la conférence et les documents de Sylvie Teveny à Brouage le 16/09/2010


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