• Le castor dans l'histoire du Canada

    Le castor dans l’histoire du Canada

    Avec Antoine Cano, consul honoraire de France au Canada


    C'était le 16 octobre 2009 à l’Abbaye Royale de Saint-Jean-d’Angély.

    Les membres de l’association Val de Boutonne-Louisiane-Québec avaient-ils cru que la conférence se passait au zoo de la Palmyre ? Il n’y a pas de castors à la Palmyre ! On attendait tout le monde dans la salle des hôtes dans l’Abbaye Royale de Saint-Jean-d’Angély…

    Antoine Cano nous a raconté des pages importantes de l’histoire du Canada, déclenchées par cette sorte de pépite d’or qu’était (à l’époque) le castor. Il y a d’ailleurs eu une « ruée vers le castor » ! (Et, heureusement, la vraie « ruée vers l’or » a permis de détourner des trappeurs vers la Californie et donc accorder un sursis à nos sympathiques bêtes !)

    Le castor, emblème du Canada, a eu une variante géante, il y a 1,5 million d’années : le castoroides ohioensis. Approchant les 3 mètres de long, pesant jusqu’à 300 kilos. (Peut-être...)

    Le castor canadien actuel, le castor canadensis,  peut peser 35 kilos et mesurer 1,25 mètre de long. 

    (Réf. Image)

     Petite liste de caractéristiques :

    • Monogame
    • Un seul accouplement… (Heu...)
    • Les petits restent deux ans avec les parents
    • Doté d’une bonne vue
    • De bonnes dents (surtout les incisives !) qui permettent de couper des arbres d’un mètre de diamètre
    • Lèvres rabattables derrière les incisives
    • Pattes arrières palmées
    • Pattes avant avec griffes
    • Queue large, épaisse et aplatie  qui set à maintenir l’équilibre pendant le travail, aplanir la terre, avertir des dangers
    • Trois types de poils lubrifiés avec les pattes et grâce à des glandes (à l'arrière)
    • Trois paires de glandes anales, préputiales, inguinales qui servent à secréter l'huile qui protège la fourrure (le castoreum si recherché) et aussi à marquer le territoire
    • Fourrure : matière première pour manteaux, chapeaux…

    Animal de territoire. La famille a besoin d’un domaine bien défini. Il lui faut de l’eau à un niveau constant pour que les entrées subaquatiques de la cabane restent protégées et pour que les végétaux  utiles puissent être facilement acheminés. D’où la construction d’un barrage et la fabrication d’une cabane. (On a découvert un barrage d’un kilomètre de long et de six mètres de hauteur ! Les barrages de castors sont quasiment indestructibles)

    La castor trace des pistes, creuse des canaux pour transporter le bois. Un vrai modèle pour les chantiers forestiers où l’on fait glisser le bois sur la glace. Le métier de draveur s’est inspiré des techniques des castors.

    Les grands travaux de barrage et de cabane ont lieu en juillet, août, septembre. (Avec le maintien du niveau d’eau le castor est l’auxiliaire de beaucoup d’autres animaux).

    Il faut aussi faire des provisions pour l’hiver (bien que le castor n’hiberne pas) : saules, peupliers, trembles, aulnes, érables. La consommation est de 600 à 700 grammes de bois par  jour.

    L'hiver, lorsque tout est gelé, le castor peut encore circuler sous la glace où, entre la glace et l'eau, il y a une mince couche d'air, si le barrage a été bien construit...

    Caractéristiques de la construction d'un barrage

    1 - Réservoir : Plan d'eau réservé à la hutte et à la réserve de nourriture. Le castor peut en régler le niveau en modifiant le barrage.
    2 - Barrage : S'étend d'une berge à l'autre en faisant monter le niveau de l'eau de façon à recouvrir et dissimuler les entrées de la hutte.
    3 - Construction : La conception la plus courante consiste à un amoncellement de pierres et de branches colmatés avec de la vase et des débris.
    4 - Abattage : Avec ses puissantes incisives le castor ronge la base d'un tronc.
    5 - Arbres : Du type peuplier sont les préférés du castor.

    La hutte et le barrage

    Le barrage est destiné à créer un plan d'eau pour y construire une hutte.

    Les galeries d'entrée qui mènent à la chambre d'habitation s'ouvrent sous l'eau.
    l'une d'elle débouche près de la réserve de nourriture.

    (Source : fiches animales)

     

    Pourquoi trappe-t-on le castor ?

    Eh bien parce que dans le castor tout est bon ! Les indiens ont été les premiers prédateurs humains, puis les coureurs des bois, puis d’autres chasseurs ! C’est la fourrure qui  a été l’objectif numéro 1 des colons. Quand on s’est rendu compte que, par exemple, une dépense de $ 44 000 pouvait engendrer une recette de $ 376 000 cela a aiguisé l’appétit de beaucoup !


    Dans l’histoire du Canada le monopole de la traite des fourrures a été octroyé contre l’implantation des colons.  Par exemple, Henri IV, à qui Pierre Dugua de Mons avait proposé des plans pour fonder une colonie, le nomma lieutenant général de la Nouvelle-France et lui accorda le monopole du commerce des fourrures.


    En 1604 ce sera la création par Champlain et de Mons d’une habitation, d’une palissade, d’un four et d’un moulin à l’Ile Sainte-Croix, dans la Baie française, (à l’embouchure de la rivière Sainte-Croix qui fera plus tard la frontière entre l’état américain du Maine et la province canadienne du Nouveau-Brunswick ; l'île est maintenant en territoire américain). Ce sera le premier établissement français du Nouveau Monde : l’Acadie. Mais plus de la moitié (35) des nouveaux arrivants meurt pendant l’hiver (à cause du froid et du scorbut). L’année suivante on déménage en face à Port-Royal (toujours en Acadie, renommée plus tard Nouvelle-Ecosse ; avec à l'Est l'Ile Royale qui deviendra l'Ile de Cap Breton). On s’allie avec les Hurons contre les Iroquois et on s’accorde en retour sur la traite des fourrures. (En 1608 ce sera la fondation de Québec.)

      

     

    L’Acadie a été alternativement cédée à l’Angleterre puis reprise :

    1607 : La France abandonne Port-Royal (pas de financement).

    1613 : Destruction des établissements français par Samuel Argall qui agit pour les Anglais.

    1620 : Le Cardinal Richelieu fait créer la compagnie des CENT ASSOCIES ; celle-ci avait le monopole de la traite des fourrures et la responsabilité de faire établir des colons, ainsi que de les garder catholiques.

    1621 : Jacques Ier d'Angleterre offre le territoire canadien à l'Ecossais William Alexander qui le nomme Nouvelle-Ecosse.

       Jacques Ier 

    1627-1628 : les frères Kirk (des Anglais) posent problème à Champlain : ils capturent Québec ! Pour trois ans la traite des fourrures sera entre leurs mains et celles de leurs associés français, les frères de Caen.

    1632 : l’Angleterre restitue Québec et Acadie à la France par le  Traité de St-Germain-en-Laye. La colonisation reprend, le défrichement aussi. Et il faut faire obstacle aux Iroquois.

    1633 :  La compagnie des CENT ASSOCIES reprend possession de la traite des fourrures. Champlain revient.

    1634 :  Fondation de Trois-Rivières.

    1635 : Champlain meurt.

    C'est dans la période d'après Champlain qu'on voit arriver un étonnant personnage qui nait en France en 1636 :  Pierre-Esprit Radisson. Sa famille émigre et s’établit à Trois-Rivières. [Son histoire va être intercalée avec cette couleur bordeaux dans l'historique général]

    1642 : Fondation de Ville-Marie, qui deviendra Montréal, le 17 mai 1642, par Paul de Chomedey de Maisonneuve, avec Jeanne Mance (fondatrice du premier hôpital de Montréal) et des artisans et des cultivateurs. (Ils construisent quelques bâtiments entourés d'une palissade, entre la Petite Rivière et le fleuve Saint-Laurent, l'actuelle pointe à Callière.)

    1645 : La compagnie des CENT ASSOCIES loue le droit de la traite des fourrures à un groupe de Canadiens résidents connu sous le nom de LA COMMUNAUTE DES HABITANTS.

    La même année le système seigneurial débute.

    1647 : Etablissement du conseil Souverain.

     


    1651 : à 15 ans, Pierre-Esprit est capturé par les Iroquois. Il vit selon leurs coutumes pendant deux ans puis s'évade.

    1657 : à 21 ans Radisson participe à une expédition pour la mission jésuite d'Onnontagué. Les Iroquois veulent occire le groupe mais, en 1658, celui-ci prend la fuite grâce à Radisson.

    1659 : Radisson obtient un permis de coureur des bois et va travailler pour Des Groseilliers, explorateur et marchand de fourrures. En 1660, son groupe ramène 360 canots de fourrures provenant de la région des lacs Michigan et Supérieur. Mais leur retour à Québec, la marchandise leur est confisquée pour avoir quitté la colonie sans l'autorisation du gouverneur.


    1659 : Un vicaire général du Québec est  installé. Son nom est François de Montmorency-Laval. Il a 36 ans. (Il restera à ce poste jusqu'à l'année 1674, année où il deviendra le premier évêque de Québec.)

    Le bateau parti de La Rochelle le jour de Pâques 1659 arrive à Québec le 16 juin 1659. Toute la colonie est sur le quai, ainsi que de nombreux Amérindiens; la ville retentit d'exclamations, du son des cloches et du bruit des canons du fort.

    Son rôle fut considérable dans l’administration de la colonie. Il fait des tournées d’inspection. Il organise les paroisses et met en place les registres paroissiaux qui serviront longtemps d’état-civil. (Les garçons devaient se prénommer Joseph et les filles Marie…) Il lutte contre les échanges d’eau-de-vie avec les indiens.


    Un autre personnage aura un rôle aussi considérable, c’est  Jean Talon, Intendant du roi.


    1665 : Jean Talon obtient de Louis XIV les 1 200 hommes du régiment de Carignan-Salières pour assurer la sécurité des colons par rapport aux indiens. Cela prendra deux années.



    Il y a peu de population à cette époque. Moins de 500 personnes dans 70 maisons à Québec lorsque Jean Talon arrive. (Dans toute la colonie, selon le recensement de 1666 on compte moins de 3500 âmes en Nouvelle France, dont 15 hommes pour une femme…)

    Jean Talon se met en quête de doubler la population. Plusieurs moyens :

    • On fait appel aux « filles du roi »
    • On taxe les célibataires (les hommes au-delà de 20 ans et les femmes au-delà de 16 ans)
    • On incite les soldats du régiment de Carignan à rester au Canada

    Jean-Talon réussit à faire venir des milliers de colons et des centaines de  femmes en Nouvelle-France.



    Sa tâche est de faire prospérer la colonie. Il fait défricher. Il fait mettre en place des fermes pour développer l’agriculture. Il encourage la petite industrie. Culture de l’orge et du houblon. Installation de la première brasserie à Québec (en face de la gare actuelle). Tuileries. Tanneries.

    Entre-temps on avait perdu la région de l’Acadie.

    1667 :  La France reprend l'Acadie grâce au traité de Breda, les Anglais s'étant emparé des colonies françaises en Amérique du Nord en 1654. Le transfert complet du territoire à la France se fit trois ans plus tard alors que les îles françaises dans les Antilles étaient données aux Anglais.

     

    En 1668, comme ils ne sont pas appuyés par la Nouvelle-France dans un projet de commerce, Radisson et Des Groseilliers font des affaires avec les Anglais. Ils conduisent des navires de marchandises entre l'Angleterre et la baie d'Hudson. La Compagnie des Aventuriers de la Baie d'Hudson est créée en 1670 et ses principaux objectifs sont le commerce des fourrures et la prospection des minéraux. Charles II concède à la Compagnie de la Baie d'Hudson 7,7 millions d’acres carrés, appelés Terre de Rupert (du nom du Prince de Rupert, premier gouverneur de la compagnie).


    Il y avait des postes de traite sur la rivière Manitoba. Afin de maintenir les Anglais hors de cette région et de promouvoir le commerce des fourrures avec Montréal, Talon ordonne une série de voyages d’exploration.

    En 1674, alors qu’il n’était pas satisfait de la Compagnie de la Baie d’Hudson, Radisson décide de retourner en France où il s'enrôle dans la Marine. En 1682, Radisson et Des Groseilliers participent à la reconquête de la baie d'Hudson pour la France. Mal payés pour leur cargaison de fourrures, ils abandonnent. Radisson retourne du côté des Anglais deux ans plus tard (et devient citoyen anglais en 1687).

    Portrait de Pierre-Esprit Radisson 
    Source :
    Archives nationales du Canada

    1676 : la population (dix ans plus tard) atteint les 8 500 habitants. A partir de là la population va grandir vite.

    La plupart des habitants vivaient dans trois villes soit Montréal, Québec ou Trois-Rivières, et dans des seigneuries sur le bord du fleuve St-Laurent, entre Québec et Montréal.

    En 1681, la couronne française légalise les voyages des commerçants français dans les terres situées à l’ouest de Montréal, par le biais du système des congés (sorte de permis).

    1697 : le traité de Ryswick remet à la France l'Acadie qui était aux mains des Anglais depuis 1690 (guerre de la Ligue d'Augsbourg). Port-Royal avait capitulé en 1690, assaillie par les hommes commandés par William Phips.

    Pierre-Esprit Radisson termine ses jours en Angleterre où il écrit ses récits de voyage. Il décède en 1710.

    1713 : Par le Traité d'Utrecht, mettant fin à une guerre de Succession d'Espagne (1701-1714), l'Angleterre reçoit les territoires français nord-américains (Acadie, Terre-Neuve, Baie d'Hudson). L'Acadie est perdue (sauf l'Ile du Cap Breton)

    Puis on fait un grand saut dans l'histoire où l'on retrouve plus directement le castor !

    Ce rongeur confirme l'influence considérable qu'il a eu sur l'histoire de l'Amérique du nord et du Canada en particulier. La guerre de Sept Ans qui opposa la France aux Anglais entre 1756 et 1763 avait entre autres enjeux, la possession des zones de piégeages des castors. La fourrure de ces animaux était très convoitée notamment pour confectionner des beaux chapeaux, aussi bien pour les hommes que pour les femmes, en Europe.

     

     

    Les Français furent batttus par les Anglais et perdirent le contrôle du nord de l'Amérique.

    1763 : Pour mettre un terme à la sanglante guerre de Sept Ans, le roi de France, Louis XV, signe le Traité de Paris, cédant, entre autres,  ce qui restait d'Acadie à la Couronne britannique (l'Ile Royale plus tard nommée Ile du Cap Breton)


    1770 : les Anglais favorisent les expéditions de Samuel Hearne pour la Compagnie de la Baie d’Hudson. Fort Churchill est un important poste de traite. De nos jours il est connu comme la capitale des ours blancs. (On se balade au milieu d’eux dans un véhicule aménagé).

    1783 : Création de la Compagnie du Nord-Ouest par, entre autres, des Ecossais. Ce sont des concurrents pour la Baie d’Hudson. Alex McKenzie , « le plus grand trafiquant de fourrures », s’occupe de l’exploration des territoires de l’ouest. (Il rentrera en Angleterre en 1795 et publiera ses carnets de voyages.)

    Début de l’immigration des Loyalistes, qui fuyaient l’indépendance américaine, au Canada.

    Arrivée des Loyalistes à Adolphustown dans la Baie de Quinte

     

    1810 : Création de la Pacific Fur Company (société américaine)

    1811 :  Lord Selkirk, qui travaille pour la Compagnie du Nord-Ouest, achète des terres le long de la Rivière Rouge, pour y installer de pauvres colons écossais. (Il achète aussi 1/3 des actions de la Compagnie de la Baie d’Hudson.)

    « Tous ceux qui sont dotés d'un peu d'intelligence et d'habileté pour l'agriculture et qui ont visité ce pays ont été frappés par l'extraordinaire fertilité du sol, la facilité avec laquelle on peut le cultiver et l'abondance des plantes indigènes. »

    Alexander Mackenzie trouve saugrenue l'idée d'implanter une colonie à cet endroit. Il connaît bien la région et, selon lui, elle n'est pas faite pour l'homme mais plutôt pour la nature à l'état brut. Même les amis de Selkirk se montrent sceptiques. Il y aura bien des colons.

    1813 : Rachat de la Pacific Fur Company par la North West Company

    1821 : Fusion de la Compagnie de la Baie d’Hudson et de la Compagnie du Nord-Ouest qui perd son nom après 40 années d’existence.

    1867 : Création de la Confédération du Canada (Dominion of Canada) avec la Nouvelle-Ecosse, le Nouveau-Brunswick, l'Ontario et le Québec (qui est une création des Anglais !)

    1868 : Il a fallu négocier pour rétrocéder les terres de la Compagnie de la Baie d’Hudson (Rupert’s Land) à la couronne anglaise (qui avait la souveraineté sur le Canada).

    Et le castor à ce moment-là ? Il deviendra l'emblème du Canada nouveau-né !

     

    AlCaribou

    (Article rédigé à l'aide des notes de la conférence et d'une recherche de compléments historiques et iconographiques) 


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