Michel Le Bozec, président de l'association de sauvegarde des Boucholeurs (Yves et Châtelaillon), juge « inhumaine » la lettre adressée par le préfet aux sinistrés des nouvelles zones de solidarité (ex-noires), en fin de semaine dernière. Quelques lignes en particulier interprétées comme une incitation à céder au plus vite les maisons inscrites dans ce périmètre, choquent les habitants qui souhaitent rester chez eux.
Dans cette lettre, Henri Masse souligne la « mesure exceptionnelle de solidarité nationale » mais rappelle toutefois aux habitants concernés qu'ils ne sont pas obligés de vendre aux Domaines. Il explique à nouveau que les refus entraîneront la mise en œuvre d'une déclaration d'utilité publique pour raison de sécurité. Et que dans ce cadre, sera effectuée une expertise « contradictoire, au cas par cas, de chaque parcelle, donc de chaque habitation, pour en évaluer les risques ». Au terme de cette procédure, les juridictions compétentes se prononceront « sur une éventuelle expropriation et, le cas échéant, sur une valeur d'indemnisation » des logements en question, au prix du marché « avant la manifestation du risque justifiant l'expropriation ».
Le préfet précise également, et c'est ce paragraphe qui suscite l'agacement : « Ceci étant, ce montant pourrait se trouver en décalage, compte tenu de l'évolution des prix de l'immobilier, avec un bien qu'une personne sinistrée pourrait souhaiter acquérir à l'issue de la procédure judiciaire d'expropriation ». Les habitants comprennent qu'on leur conseille de vendre au plus vite, s'ils ne veulent pas perdre d'argent. En effet, les procédures risquent de prendre beaucoup de temps, des années éventuellement.
Les sinistrés entrés en résistance craignent que certains de leurs voisins plus hésitants ne soient influencés par ce courrier. D'autant que les prix proposés sont attractifs. Ainsi pour une maison de 36 m² avec un jardin pouvant accueillir une table et quatre chaises, avec vue sur mer certes, la somme de 250 000 euros a été proposée, par écrit. Voilà qui doit faire réfléchir.
Cela dit, rien n'est simple. Il commence à se dire que, entre les évaluations orales et les propositions concrètes écrites, il existe parfois des différences significatives. En tout état de cause, l'association conseille aux habitants de ne « pas vendre aux Domaines ». Jean-Louis Léonard et Yves Roblin, respectivement maire de Châtelaillon et Yves, avaient fait de même, voilà quelques jours.
À noter également, que certains destinataires de ce courrier ont été surpris de l'être : il s'agit notamment du propriétaire de la brasserie place André-Hesse, de quelques ostréiculteurs, de la propriétaire du salon de coiffure. Celle-ci ne dort pas sur place, les autres non plus.
Reportage
Certains se réveillent toutes les nuits à 3 h. Comme si leur horloge interne restait bloquée à cette heure tragique, celle de Xynthia. D'autres racontent le mutisme de leurs enfants ou petits-enfants depuis cette nuit du 27 au 28 février.
Un garçon de 9 ans a mis deux mois avant d'évoquer la tempête, alors que, avec son papy, ils ont failli mourir. « Nous ne savions pas comment lui en parler », témoigne sa grand-mère. Une adolescente refuse obstinément de rencontrer un psy, ce qui ne rassure pas ses parents, persuadés qu'elle y pense encore à ce cauchemar.
Là où fut leur bonheur
Certains sont incapables de retourner sur les lieux, dans les quartiers les plus endeuillés de La Faute-sur-Mer notamment. D'autres reviennent où fut leur bonheur.
C'est le cas de Michel et Renée Chiron. Ils ont beau savoir qu'ils ne vivront plus ici, « trois à quatre fois par semaine », il faut qu'ils revoient leur pavillon. Pourquoi ce pèlerinage ? Renée tente un début d'explication patinée par l'évidence : « Parce que c'est notre maison. » Michel, lui, évite de trop chatouiller les entrailles de son inconscient : « C'est comme ça. » Pas bien longtemps, « dix minutes, une demi-heure, parfois une heure », mais cette visite est comme une bouffée d'oxygène.
Ils savent bien que cela ne durera pas. Ils ont accepté la transaction avec l'État et partiront. Sans doute en septembre. Ce sera aux Sables-d'Olonne où ils vont aussi plusieurs fois par semaine respirer le parfum iodé des projets à venir. « Mais cette histoire, on y pensera encore dans vingt ans », sait d'avance Michel, qui admet « quelques coups de blues de temps en temps ».Il avait bâti la maison de ses mains.
« La scène en flash-back »
Il n'est pas le seul à ressasser le drame. Le bilan officiel de Xynthia est de 47 morts, dont 29 en Vendée. Ce chiffre ne dit rien des blessures psychiques que les médecins appellent « les traumatismes psychologiques ». Impossible de dire combien sont « blessés » ou le seront. Non, Xynthia n'a pas fini d'éroder les têtes et les corps.
Yves Bescond, psychiatre, animait une réunion à L'Aiguillon, le 22 juin. Une soixantaine d'habitants y participaient. Selon le médecin, « 10 à 15 % de la population pourrait être atteint de troubles psychiques et/ou organiques, avec des troubles cardio-vasculaires pouvant aller jusqu'à l'infarctus ». D'où l'importance majeure de la prévention. En Vendée, « cinq ou six infarctus ont été comptabilisés dans les quelques jours, parfois les quelques heures, qui ont suivi la catastrophe ». Dont trois ou quatre affectant des personnes qui n'étaient pas prédisposées à déclencher cette réaction.
Les effets secondaires peuvent aussi survenir longtemps après. « Jusqu'à plusieurs mois, alors que tout semblait aller à peu près, assure le psy. Les gens revivent la scène traumatique, ont des flash-back. » D'AZF au 11-Septembre en passant par les attentats du métro Saint-Michel à Paris, les guerres, les tremblements de terre ou les cyclones, le même phénomène a été observé. Il provoque parfois des « lésions » psychiques très tardives. Pas rassurant, mais utile à savoir quand Xynthia hante encore des nuits.
Philippe ÉCALLE.
X ynthia, un trop bel emblème
mercredi 30 juin 2010
Il faut dire haut et fort que des espaces naturels fragiles, indispensables aux complexes équilibres des écosystèmes, sont menacés par un urbanisme soumis à la dictature du profit.
La tempête qui s’est abattue sur la Vendée et la Charente-Maritime a été l’occasion de mettre en cause la politique immobilière sur le littoral. L’État a répondu à l’émotion par des expropriations, mais celles-ci ne sont pas fondées pour autant.* Les appétits des spéculateurs immobiliers sur le littoral doivent être dénoncés sans relâche.
Il faut tirer les conséquences des modifications climatiques – largement provoquées par des activités humaines –, notamment la montée inexorable du niveau des océans, et se préparer à abandonner des territoires.
La tempête Xynthia vient à point nommé illustrer ces excellentes thèses ? Oui et non ! C’est bien le problème avec les situations concrètes, elles ne se conforment pas toujours complètement avec des idées, aussi nobles soient-elles, que celles des Verts ou autres défenseurs de la nature parfaitement respectables.
Et parfois, croyant défendre une juste cause, on apporte son soutien à une décision politique qui en est bien éloignée.
Rappel rapide des faits
Le 28 février à 4 h 30, la tempête Xynthia atteint le littoral des départements de Vendée et de Charente-Maritime, submergeant de vastes territoires et provoquant le décès de 53 personnes. Sarkozy, surfant sur l’émotion, comme à son habitude, survole les lieux en hélicoptère et déclare qu’il ne permettra pas qu’on revienne s’installer dans ces zones « mortifères ». C’était censé être percutant, radical, courageux, etc. Ensuite, bricolage hâtif d’un zonage coloré, avec tous les bidouillages qu’on devine. Jamais une opération de délocalisation d’une telle ampleur et menée avec une telle célérité n’a été entreprise par l’État. Le nombre de biens visés, porté au 27 avril 2010 à 1 531, dépasse largement le chiffre de l’ensemble des propriétés indemnisées par le fonds Barnier depuis sa création.
Dans la foulée, s’est constituée une douzaine d’associations de victimes atterrées, subissant une sorte de double peine, d’abord la tempête ensuite une condamnation à la délocalisation vécue comme absurde par un grand nombre d’entre elles.
Les élus locaux de la majorité présidentielle et départementale, Bussereau, président du conseil général et ministre des Transports, Léonard, député-maire de Châtelaillon, et deux ou trois maires et conseillers généraux chevauchent vaillamment la mobilisation des associations de victimes de leurs communes et département, jusqu’à provoquer ce déplacement surprise d’une partie du gouvernement à La Rochelle et à La Roche-sur-Yon, Borloo, Jouanno, Apparu et Bussereau, pour une fumeuse mise au point, qui maintient le zonage mais rebaptise les zones noires « zones de solidarité et de rachat ».
Les associations ne désarment pas. Le 24avril, elles bloquent notamment le pont de l’île de Ré, exigent la communication des études qui fondent le zonage (au vu des expériences connues, il est impossible en un délai aussi court que des experts désignés aient pu rendre un rapport circonstancié pour conduire l’État à justifier les mesures prises) et en appellent aux tribunaux administratifs. Un premier jugement positif a été prononcé.
À gauche, le député-maire de La Rochelle, Maxime Bono, dont la ville a curieusement été épargnée par le zonage, a tout de suite jugé celui-ci globalement positif. Pour les Verts, Xynthia est un trop bel emblème. Ils soutiennent Borloo et approuvent ses décisions « courageuses ».
Ségolène Royal, présidente de la région Poitou-Charentes, a choisi de prendre la tête de la révolte des victimes, elle leur apporte des moyens juridiques et subventionne leurs associations.
Quelques remarques
sur la situation concrète
Si on regarde l’événement d’un tout petit peu plus près, on s’aperçoit qu’on a affaire à une submersion très peu probable, résultat de la conjonction de trois facteurs : un fort coefficient de marée, une dépression importante provoquant une surcote et la coïncidence exacte entre le passage de la tempête et l’heure de la marée haute. Autant dire qu’un événement comme celui-ci est à peu près aussi fréquent que la chute d’un astéroïde. Et raser la zone d’impact parfaitement absurde.
Quand bien même il s’agirait d’une tempête à retour fréquent, il est bien évident que la prévention concerne l’ensemble du littoral ; il est vrai qu’alors ce n’est pas 1 500maisons qu’il faudrait détruire, en suivant les mêmes principes, mais des dizaines de milliers. C’est quand même beaucoup plus simple de s’en tenir à la zone déjà atteinte et puis tellement plus percutant pour un « coup médiatique », avec parfum de sacrifice et victimes expiatoires… (à la prochaine éruption volcanique, on jettera les sinistrés dans le cratère).
Une autre remarque ? Si les Verts ont cru que les zones débarrassées de leurs habitations allaient devenir ou redevenir des zones naturelles, qu’ils lisent la lettre de Borloo aux élus : ils verront qu’on s’y intéresse aux « capacités d’utilisation à des fins d’activités économiques » (de ces territoires). Alors, à quand les zones de loisirs (marchands) et autres marinas ?
Allez, une troisième remarque, pour la route : la composition sociale d’une zone noire. Par exemple la route de la plage à Aytré (agglomération de La Rochelle) comporte environ 30 % de propriétaires résidents permanents dans des habitations diverses, de modestes à plus…, 30 % de résidences secondaires plutôt modestes, et pour le reste des locataires, notamment des étudiants, qui trouvent là des loyers moins chers qu’en ville, dans des mobil-homes. Ce n’est donc pas tout à fait l’image de nantis, les pieds dans l’eau.
Cela dit, l’événement a utilement attiré l’attention sur un certain nombre de réalités du littoral : les problèmes d’urbanisme, de dégradations de certains milieux naturels, de carences d’entretien des protections, de faiblesse des systèmes d’alerte, de retards considérables dans la mise en place de Plans de prévention des risques (PPR).
Et prendre ces réalités à bras-le-corps est évidemment indispensable. Ce n’est pas le premier des soucis de Sarkozy.
A la date du 22 mai, où en est-on ?
Les procédures de « rachat » des habitations sinistrées sont enclenchées : les services de France Domaines réalisent des estimations afin de procéder à des propositions de rachat. Les préfectures communiquent beaucoup et très vite sur le nombre de ces estimations (en le gonflant allègrement, par une confusion volontaire entre le nombre de gens qui s’informent et celui des personnes, qui, légitimement, veulent quitter un site où ils ont vécu une épreuve traumatisante). Les préfets envoient ainsi un signe à ceux qui s’opposent à leur expulsion : « vous êtes de moins en moins nombreux ! »
De « bonnes » propositions de rachat auraient été faites, mais curieusement, aucune des personnes « satisfaites » n’a souhaité en divulguer le montant.
Des travaux d’urgence de réparation des digues, commencés dès le lendemain de l’événement pour parer aux marées d’équinoxe de fin mars, ont été réalisés par des entreprises de travaux publics. Le 5 mai, le ministère des Finances n’avait toujours pas honoré ses factures1.
Alors la suite ? Nous attendons, d’ici la fin du mois, des réponses aux requêtes déposées par les associations et les communes, devant le tribunal administratif de Poitiers.
Des commissions sénatoriale et parlementaire poursuivent leurs travaux d’audition ; certaines recommandations, venant des sénateurs, pointent en filigrane les incohérences de l’État.
Au-delà, que peut-il se passer ?
Pour les personnes entrées dans la procédure de rachat de leurs biens par l’État, même si les premiers paiements intervenaient rapidement, on peut craindre qu’il se passe beaucoup de temps avant que les opérations soient achevées. Et le maintien d’un niveau de rachat équitable n’est pas assuré non plus sur la durée. Il faut se souvenir d’événements comparables comme en 1999, dans la vallée de l’Aude, par exemple. Dix ans après, on est très, très loin du compte.
Le temps peut jouer en faveur de ceux qui refusent la procédure « amiable ». En effet, l’État peut abandonner son projet d’expropriation, surtout si les premières décisions des tribunaux sont favorables aux requérants. Il se peut aussi qu’on entre dans une bataille judiciaire de dix ans... avec éventuellement d’autres interlocuteurs au pouvoir.
Quant à la part qui revient aux assurances, d’ores et déjà des difficultés sont signalées.
Les associations restent mobilisées : dans tous les cas de figure, elles sont indispensables, pour la centralisation des informations, l’organisation des recours judiciaires ou les possibilités d’expression publique.
Simone Grange
* Au moment où nous imprimons, il semblerait que l’état fasse marche arrière sur les démolitions.
à suivre…
1. L’hebdomadaire “Le phare de Ré titrait“, dans son édition du 5 mai, L’État défaillant.
Le plan digues de l’État annoncé dès le 7 juillet selon Bruno Retailleau
Faits de société mercredi 30 juin 2010
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La digue de la pointe de L'Aiguillon, balayée par la puissance des éléments, dans la nuit du 27 au 28 février.
OUEST FRANCE
Attendu plutôt pour la mi-juillet, le plan digues serait présenté dès le 7 juillet, lors du prochain conseil des ministres, par Jean-Louis Borloo, le ministre de l’Ecologie. C’est Bruno Retailleau qui l’affirme. Le sénateur et vice-président du conseil général tient l’information du Premier ministre François Fillon, qu’il a rencontré dans le cadre de la mission Xynthia qu’il conduit. Selon l’élu vendéen, ce plan « ne se réduira pas à la seule question des digues » et comportera aussi « un volet relatif à la prévention et au système d’alerte des submersions marines et des crues ». Ce plan, ajoute encore Bruno Retailleau, sera doté, « sur la période 2011-2016, de 500 millions d’euros, que l’État envisage de financer sur le fonds Barnier », les fonds européens étant également sollicités « pour accompagner l’effort de l’État ». Une consultation publique devrait être ouverte jusqu’en octobre prochain, « afin de recueillir les avis des maîtres d’ouvrages, des populations et des collectivités concernées ».